La notion de « plans et programmes » au sens de la directive 2001/42 (EIPP) pour lesquels une évaluation environnementale est obligatoire en matière de désignation des zones spéciales de conservation (Natura 2000)
Gepubliceerd op :
10/12/2024
10
décembre
déc.
12
2024
La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu le 17 octobre 2024 un arrêt concernant la notion de « plans et programmes » au sens de la directive 2001/42 (« EIPP ») pour lesquels une évaluation environnementale est obligatoire[1].
Cet arrêt confirme et précise notamment l’enseignement de l’arrêt de la CJUE du 12 juin 2019[2] selon lequel un arrêté par lequel un État membre désigne une zone spéciale de conservation (ZSC) et fixe des objectifs de conservation ainsi que certaines mesures de prévention, ne constitue pas, en principe, un plan ou un programme pour lequel une évaluation des incidences environnementales est obligatoire en vertu de la directive EIPP, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer.
Les dispositions en cause :
L’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (directive EIPP) dispose que :
« (…)
2. Sous réserve du paragraphe 3, une évaluation environnementale est effectuée pour tous les plans et programmes :
a) qui sont élaborés pour les secteurs de l’agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l’énergie, de l’industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l’eau, des télécommunications, du tourisme, de l’aménagement du territoire urbain et rural ou de l’affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement pourra être autorisée à l’avenir ; ou
b) pour lesquels, étant donné les incidences qu’ils sont susceptibles d’avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43CEE [du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage (JO 1992, L 206, p.7)]. »
L’article 6, paragraphe 3 de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage dispose quant à lui que :
« (…)
3. Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.
(…) » (nous soulignons).
Le cas d’espèce :
L’affaire dont traite l’arrêt en cause concerne l’adoption, par le district d’Osnabrück, en Allemagne, d’un arrêté désignant la zone de protection du paysage « Ruisseaux dans l’Artland » en tant qu’élément essentiel du site Natura 2000 éponyme.
Aucune évaluation environnementale n’avait été réalisée par le district d’Osnabrück, ni d’examen préalable quant à la nécessité d’une telle évaluation, avant d’adopter l’arrêté en cause.
Une procédure est introduite à l’encontre dudit arrêté et la juridiction de renvoi nationale saisie de l’affaire sursoit à statuer et pose un déclinatoire de 7 questions préjudicielles à la CJUE. Seules les deux premières font l’objet d’une réponse dans l’arrêt en cause et sont libellées de la manière suivante :
« 1) Convient-il d’interpréter les dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/42 et de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43 en ce sens que toutes les dispositions figurant dans un acte par lequel un État membre désigne un site en tant que zone spéciale de conservation au titre de la directive 92/43 doivent, indépendamment de leur contenu normatif respectif, être considérées comme étant directement liées ou nécessaires à la gestion du site et que, par conséquent, cet acte ne doit, en tant que plan, pas être soumis à une évaluation environnementale en application des dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/42 et de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, ou peut-il y avoir lieu d’adopter une approche distinguant en fonction du contenu de chacune des dispositions de l’acte, de sorte que certaines dispositions de cet acte devraient être considérées comme étant un (élément d’un) plan directement lié ou nécessaire à la gestion du site et d’autres non ?
2) Dans le cas où la réponse à la première question consiste en la seconde branche de l’alternative : convient-il d’interpréter les dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/42 et de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43 en ce sens qu’il y a lieu de considérer une règle figurant dans un acte d’un État membre, par lequel un site est désigné en tant que zone spéciale de conservation, au sens de la directive 92/43, des objectifs de conservation sont définis et des obligations et interdictions établies, comme n’étant pas un (élément d’un) plan directement lié ou nécessaire à la gestion du site lorsque cette règle, fixant des critères et des modalités précis, exclut certaines activités mises en œuvre sur ce site du champ d’application des obligations et des interdictions établies et que ces activités ne servent pas directement à garantir le respect des objectifs de conservation, mais doivent être considérées comme des mesures de gestion ou d’entretien à d’autres fins et qui ont un caractère de projet, au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43 ? »
À cet égard, la Cour estime que « par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/42, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43, doit être interprété en ce sens qu’un acte, par lequel l’État membre concerné désigne un site en tant que zone spéciale de conservation, au titre de la directive 92/43, et qui énumère les activités humaines qui sont interdites sur ce site, sous réserve des exceptions que cet acte prévoit également, relève de la notion de « plans et programmes », au sens de la directive 2001/42, pour lesquels une évaluation environnementale est obligatoire ».
Enseignement de la Cour :
La Cour estime que l’arrêté en cause ne relève pas de la notion de « plans et programmes » au sens de la directive 2001/42 pour lesquels une évaluation environnementale est obligatoire.
En effet, sur la base des dispositions contenues dans l’arrêté en cause, la Cour arrive à la conclusion que cet acte doit être considéré comme étant directement lié ou nécessaire, dans son ensemble, à la gestion du site concerné. Par conséquent, compte tenu de l’article 6, paragraphe 3 de directive 92/43/CEE précité, il ne relève pas de la notion de « plans et programmes » au sens de la directive 2001/42 pour lesquels une évaluation environnementale est obligatoire.
Lien avec l’arrêt du 12 juin 2019 de la CJUE :
La juridiction de renvoi dans l’affaire C‑461/23 du 17 octobre 2024 fait spontanément le lien avec l’arrêt rendu le 12 juin 2019 par la CJUE dans une affaire dans laquelle était en cause l’arrêté du gouvernement bruxellois du 14 avril 2016, portant désignation du site Natura 2000 « La Forêt de Soignes avec lisières et domaines boisés avoisinants et la Vallée de la Woluwe – complexe Forêt de Soignes – Vallée de la Woluwe ».
La Cour avait déjà jugé à l’époque que « l’article 3, paragraphes 2 et 4, de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, doit être interprété en ce sens que, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, un arrêté, tel que celui en cause au principal, par lequel un État membre désigne une zone spéciale de conservation (ZSC) et fixe des objectifs de conservation ainsi que certaines mesures de prévention, n’est pas au nombre des « plans et programmes » pour lesquels une évaluation des incidences environnementales est obligatoire » [3].
Elle jugeait également que (point 51) « la circonstance qu’un acte, tel que celui en cause au principal, ne doit pas être obligatoirement précédé d’une évaluation environnementale sur le fondement des dispositions combinées de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » et de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive EIPP ne signifie pas qu’il est soustrait à toute obligation en la matière, dès lors qu’il n’est pas exclu qu’il puisse édicter des règles conduisant à l’assimiler à un plan ou à un programme, au sens de cette dernière directive, pour lesquels une évaluation des incidences environnementales est susceptible d’être obligatoire ».
Dans l’affaire C‑461/23 du 17 octobre 2024, la Cour rappelle l’enseignement de l’arrêt du 12 juin 2019 indiquant que l’acte par lequel un Etat membre désigne un site comme une zone spéciale de conservation conformément à la directive 92/43 est par nature directement lié ou nécessaire à la gestion du site, en précisant toutefois que (point 44) « certes, cette appréciation ne saurait être étendue à toutes les dispositions d’un tel acte d’une manière automatique, sans vérifier le contenu de celles-ci. En particulier, il ne peut pas être a priori exclu que cet acte comporte aussi des dispositions qui n’ont aucun rapport avec l’exécution, par l’État membre concerné, de l’obligation prévue à l’article 4, paragraphe 4, de la directive 92/43 et qui ne sont pas directement liées ou nécessaires à la gestion du site en cause d’une autre façon ».
La Cour juge cependant que l’arrêté du district d’Osnabrück ne semble pas comporter de telles dispositions, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi.
Il ressort donc de la combinaison de ces deux arrêts les enseignements suivants :
- En principe, un acte par lequel un Etat membre désigne un site comme zone spéciale de conservation conformément à la directive 92/43 et fixe des objectifs de conservation ainsi que certaines mesures de prévention, doit être considéré comme étant directement lié ou nécessaire, dans son ensemble, à la gestion du site concerné de sorte que, compte tenu de l’article 6, paragraphe 3 de directive 92/43/CEE précitée, il ne relève pas en soi de la notion de « plans et programmes » au sens de la directive 2001/42 pour lesquels une évaluation environnementale est obligatoire.
- Toutefois, ce constat ne signifie pas qu’un tel acte est soustrait à toute obligation d’évaluation des incidences, dès lors qu’il n’est pas exclu que cet acte contienne :
i) des dispositions qui ne sont pas directement liées ou nécessaires à la gestion du site tout en affectant le site de manière significative, ou
ii) des règles conduisant à l’assimiler à un plan ou à un programme visé par l’article 3, § 2, a) de la directive EIPP (à savoir un « cadre d’autorisation » de projets), ou encore
iii) des règles conduisant à assimiler l’acte à un plan ou à un programme visé par l’article 4 de cette même directive (à savoir tout autre plan ou programme qui définit le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l’avenir et qui sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement selon l’appréciation des états).
ii) des règles conduisant à l’assimiler à un plan ou à un programme visé par l’article 3, § 2, a) de la directive EIPP (à savoir un « cadre d’autorisation » de projets), ou encore
iii) des règles conduisant à assimiler l’acte à un plan ou à un programme visé par l’article 4 de cette même directive (à savoir tout autre plan ou programme qui définit le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l’avenir et qui sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement selon l’appréciation des états).
- Il incombe dès lors à la juridiction de renvoi de vérifier au cas par cas si l’arrêté soumis à son contrôle ne constitue qu’une désignation de zone spéciale de conservation directement liée ou nécessaire à la gestion du site ou s’il contient également des dispositions ou règles nécessitant une évaluation des incidences. Dans l’arrêt C 461/23 du 17 octobre 2024, la CJUE semble avoir effectué cette vérification elle-même.
- Par conséquent, les autorités adoptant de tels actes doivent procéder à l’analyse de chacune des dispositions les composant et, le cas échéant, les soumettre à une évaluation des incidences au terme de leur analyse en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (ci-après, la « directive habitats ») ou de l’article 3, §§2 et 4 de la directive EIPP.
[1] Arrêt C‑461/23 du 17 octobre 2024, disponible via CURIA - Documents
[2] Arrêt C-43/18 du 12 juin 2019, disponible via eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:62018CJ0043
[3] Arrêt C-43/18 du 12 juin 2019, disponible via eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:62018CJ0043
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Auteurs
Basile Pittie
Advocaat
XIRIUS PUBLIC, Droit constitutionnel, Droit de l'énergie, Droit de l'environnement et de l'urbanisme, Urbanisme et aménagement du territoire
(00)
Dominique Vermer
Advocaat-Vennoot
XIRIUS PUBLIC, Xirius Public, Droit constitutionnel, Droit de l'énergie, Droit de l'environnement et de l'urbanisme, Expropriations, Urbanisme et aménagement du territoire
(00)
{ HISTORIQUE }
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